Dans un entretien exclusif, Macky Sall considère que l’industrie pétrolière et gazière suscitera tout un écosystème porteur d’industries nouvelles et d’emploi, mais qu’elle ne constituera pas, à court terme, une manne pour l’État. L’ancien président de l’Union africaine juge que l’Afrique doit avoir mieux conscience d’elle-même et de ses possibilités. Entretien avec Omar Ben Yedder
Dans un entretien exclusif, Macky Sall considère que l’industrie pétrolière et gazière suscitera tout un écosystème porteur d’industries nouvelles et d’emploi, mais qu’elle ne constituera pas, à court terme, une manne pour l’État. L’ancien président de l’Union africaine juge que l’Afrique doit avoir mieux conscience d’elle-même et de ses possibilités.
Entretien avec Omar Ben Yedder
Nous sommes dans un contexte mondial très compliqué, avec la crise Covid et les conséquences de la guerre en Ukraine. Si le Sénégal semble bien s’en sortir, quels sont ses défis, aujourd’hui ?
Vous le rappelez, la conjoncture mondiale est très défavorable. La crise sanitaire a entraîné partout une baisse de l’activité, donc de la production et des recettes. Nous rencontrons, en Afrique, une certaine difficulté à relancer les économies, faute de capacités, car les mécanismes que nous avons préconisés n’ont pas été suivis d’effets. Ces mécanismes intégraient par exemple une réallocation des DTS (Droits de tirage spéciaux) pour permettre à nos économies d’être renflouées et aux secteurs d’être relancés.
Survient depuis un an le renchérissement des coûts du pétrole et des prix des denrées alimentaires. Tout cela nourrit l’inflation dans tous les pays et les États ont été obligés de subventionner. Ce qui a entraîné un manque à gagner et augmenté les déficits.
Dans cette conjoncture défavorable, le Sénégal a pu très rapidement être au rendez-vous de la relance, de 1,5% en 2020, la croissance s’est approchée de 6% en 2022 et nous projetons 10% en 2023.
Nous sommes arrivés à maturité dans les investissements pétroliers et gaziers et l’ouverture de l’exploitation devrait intervenir au quatrième trimestre de l’année, probablement en novembre-décembre. Cela vient s’ajouter à nos efforts dans le secteur marchand et l’agriculture.
En effet, la Banque mondiale prévoit que le Sénégal sera l’économie la plus performante d’Afrique, en 2023 et en 2024. Cela signifie-t-il, pour votre gouvernement, davantage d’infrastructures et d’investissements ?
D’abord, cela veut dire simplement que l’économie sera robuste ! Elle va générer davantage de revenus, et naturellement plus d’investissements. Nous devons éviter de tomber dans la paresse et dans l’idée que les ressources pétrolières vont nous donner une perspective autre que celle de bien travailler comme nous l’avons toujours fait ! Ces ressources nouvelles vont venir renforcer les secteurs productifs et les secteurs sociaux.
Par secteurs productifs, j’entends notamment l’agriculture, l’élevage, qu’il nous faut moderniser et intensifier ; je citerai également la pêche, nous devons renforcer l’aquaculture et la sylviculture. Bien sûr, nous devons également travailler au renforcement des filets sociaux.
Durant les quatre ou cinq premières années, les ressources pétrolières ne seront pas aussi significatives que vous le suggérez : c’est la période où la part qui revient aux États n’est pas très importante car elle correspond à celle où l’on rembourse le plus gros des moyens engagés, les coûts antérieurs. Au fur et à mesure du temps, la part qui revient à l’État est plus importante, car nous avons à rembourser les investissements nous-mêmes, selon les termes des associations nouées.
Certes, cette production pétrolière générera des revenus, mais le plus important pour nous réside dans l’environnement qu’elle apportera au pays. Nous attendons davantage d’activités dans l’industrie parapétrolière, dans les services et dans tous les métiers juridiques, ceux de la fiscalité, l’expertise, la comptabilité, etc. Cet environnement économique, et je n’oublie pas la logistique, permettra au pays de gagner non seulement grâce au pétrole et au gaz, mais avec tout l’écosystème qui l’entoure. Nous avons déjà organisé par la loi le cadre par lequel ces ressources seront gérées pour éviter certains errements du passé. Tout est anticipé, calibré, voté…
Vous avez mentionné le cas des DTS et la difficulté à relancer les économies actuellement ; demandez-vous davantage d’aides des pays du G20 et des organismes internationaux pour les pays africains ?
Je ne dirais pas plus d’aides mais plus de partenariats positifs ! C’est ce que nous disons à nos partenaires du Nord : dans la crise Covid, ils ont pu développer des mécanismes permettant d’amortir le choc, ce qui est tout à fait louable. Ce sont des schémas de résilience qui sont financés à coups de centaines de milliards de dollars ou d’euros… Or, les économies du Sud ne peuvent pas le faire, car nos Banques centrales n’ont pas les mêmes possibilités. Donc, faute de ces facilités pour faire face à la même crise, et parce que les DTS ont déjà été mobilisés, le FMI a décidé de permettre l’utilisation de 650 milliards de DTS qui appartenaient à tout le monde mais sur lesquels l’Afrique subsaharienne ne comptait que pour 23 milliards. Un peu d’oxygène, certes, mais qui a fondu comme beurre au soleil ! Le Sénégal a pu obtenir quelque 450 millions de dollars : ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà quelque chose…
On évoque aujourd’hui l’hypothèse d’un nouveau tirage qui permettrait d’allouer 100 milliards de DTS à l’ensemble des pays en développement, pas seulement en Afrique. Il permettait, à la faveur d’un effet de levier, de lever 400 milliards $ à des taux d’intérêt peu élevés, de l’ordre de 0,5%. Cela donnerait aux pays la trésorerie permettant de respirer et de mieux relancer la machine. Plusieurs grands pays s’y étaient engagés, notamment les Européens et la Chine, mais cela bloque aujourd’hui du côté du Congrès américain… Le FMI ne peut mettre que partiellement le mécanisme prévu, lequel, à ma connaissance, ne concerne aujourd’hui qu’un seul pays africain. Tout cela est encore trop lent, mais nous plaidons toujours pour que le monde permette aux pays en développement de mieux respirer, ce serait bon pour toute l’humanité…
Voilà notre état d’esprit aujourd’hui, en Afrique : celui de bâtir des partenariats gagnants-gagnants en fonction des intérêts réciproques.
Concernant le déficit budgétaire et la dette ; le Sénégal est-il à l’aise avec ses objectifs ?
Nous suivons les critères de convergence de l’UEMOA : la dette doit être inférieure à 70% du PIB, ce qui paraît très faible, quand on voit que les grands pays ont passé la barre de 100% d’endettement ! Mon souhait au sein de l’Union est de relever ce plafond de l’endettement, pourquoi pas à 90% du PIB. Ce qui donnerait davantage d’espace budgétaire ; notre niveau de développement fait que l’État fait tout, donne tout, l’eau, l’électricité, etc. On ne peut pas être dans un tel schéma et plafonner ainsi l’endettement des États.
En matière budgétaire, le cadre prévoit un déficit de 3%, ce qui donne, là aussi, très peu de marge de manœuvre pour financer les innovations sociales, les écoles, les universités, les routes, sans oublier la défense et la sécurité, dont nous savons le coût. Ce cadrage très serré est trop demander à nos pays.
Après la crise Covid, nous discutons de l’ensemble de ces critères : l’Afrique doit-elle respecter les critères de Maastricht décidés par l’Union européenne au moment de créer l’euro ? Ce qui était le déficit allemand, à l’époque, doit-il devenir une norme mondiale ? Il n’est pas normal que les pays africains soient dans ce même horizon ; c’est pourtant aujourd’hui la pensée dominante, mais il nous faut réfléchir ensemble sur la réalité des pays et adapter les efforts par rapport aux contextes réels. Même si nous devons maîtriser les déficits, je ne suis pas contre un certain assouplissement, notamment en matière d’endettement.
Cela nous conduit à la question du financement du développement ; quelles ressources, quels mécanismes. Là aussi, j’ai engagé beaucoup de discussion avec l’OCDE sur la nécessité de réformer les règles pour permettre un plus grand échange entre le Nord et le Sud, un plus grand commerce entre nous.
Nous devons arriver à obtenir des maturités plus longues sur les crédits exports avec des garanties moins chères ; ce qui soulève la question de la notation, parce que de la notation dépend la perception du risque et donc la valeur des assurances exigées. Tout est lié ! C’est un dialogue que nous devons avoir, en toutes responsabilités, et toujours dans un esprit gagnant-gagnant ; nous avons d’ailleurs tous à gagner dans cette réforme de l’OCDE pour que nos pays puissent avoir accès à des maturités plus longues, 18 ou 20 ans, et aussi moins d’assurances à payer pour nous.
Pourtant, la situation d’endettement de certains autres pays africains ne vous inquiète-t-elle pas ? Le Ghana, la Zambie, la Tunisie, sont en difficulté…
C’est vrai, certaines situations d’endettement sont élevées par rapport aux critères dont nous venons de parler. Et quelques pays ont des difficultés de remboursement ; nous allons les accompagner. C’est la mission du FMI de se saisir de ce genre de crise, qui peut arriver à tous les pays ; il faut les accompagner, les aider à procéder aux réformes nécessaires, mais je ne vois pas comment un pays peut se développer sans s’endetter. Bien sûr, il faut maîtriser l’endettement qui doit être utilisé à bon escient dans l’investissement et non dans le fonctionnement. Et encore faut-il que l’investissement soit optimisé. Je crois que globalement, la dette africaine peut être qualifiée de convenable, elle n’est pas excessive.
Vous dites que le service public joue un rôle surdimensionné au Sénégal…
Partout en Afrique, ce n’est pas propre au Sénégal ! Cela est dû à l’état de notre développement, nous n’avons pas encore atteint un niveau où le secteur privé peut prendre le relais. Il est arrivé à certains pays européens de rester un an sans gouvernement, en Afrique, ce n’est pas imaginable ! Les salaires, pour l’essentiel, sont payés par l’État, les chantiers, les marchés, sont aussi ceux de l’État. Quand nous aurons construit l’infrastructure de base (routes, chemin de fer, les ports), le secteur privé pourra développer le tout et prospérer.
Vous encouragez le développement du secteur privé ?
Absolument, nous ne pouvons pas aller de l’avant sans un secteur privé dynamique, c’est lui qui crée la richesse, la plus-value, et les emplois. Les emplois de l’État sont marginaux.
Quand vous comparez le Sénégal de 2012 au Sénégal d’aujourd’hui, quel regard portez-vous sur son développement ?
En toute objectivité, il n’y a pas photo, quel que soit le paramètre que l’on met en avant. En matière de capacité économique : l’économie a été multipliée par trois, les budgets ont été aussi été multipliés par trois, de 2 400 milliards de F.CFA à 6 500 milliards, en dix ans !
En matière d’infrastructure, la comparaison est sans commune mesure : voyez ce que nous avons construit en autoroutes, en routes, en université ; dans l’agriculture, la production a été multipliée par deux, parfois par trois dans certaines spéculations. L’économie est beaucoup plus puissante, nous avons accompli des progrès dans tous les secteurs, l’eau, l’électricité…
Cela ne veut pas dire que nous avons tout réalisé, nous avons encore du travail de développement devant nous.
En tant que président de l’Union africaine, vous avez abordé plusieurs dossiers, dont celui de la crise alimentaire, celui des engrais et intrants agricoles. Avez-vous constaté des avancés, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine ?
Nous avons obtenu quelques évolutions favorables, après les grandes inquiétudes exprimées au déclenchement du conflit en Ukraine. Je me suis rendu à Sotchi en juin 2022 pour rendre compte de ces inquiétudes. Les accords avec les Nations unies, la Turquie, la Russie et l’Ukraine ont permis l’exportation des graines à partir de la mer Noire et le marché international s’organise. Depuis décembre, nous développons une stratégie commune afin d’importer en provenance des États-Unis, un pays qui dispose de sept années de réserves. Ils peuvent donc alimenter le marché pour éviter la spéculation. Progressivement, les obstacles qui entravaient le commerce maritime se sont levés.
En 2023, nous aurons moins de problèmes à ce niveau et déjà, les prix ont fléchi par rapport à 2022 ; nous pouvons aller de l’avant. Nous travaillons avec l’Union européenne, la France, l’Allemagne, pour faciliter les échanges. Ce sont autant d’efforts pour trouver des alternatives, à court terme, sur les marchés des céréales et des engrais.
À moyen terme, il s’agit de développer une agriculture africaine capable d’assurer l’alimentation. Je vous citerai par exemple ce que nous avons décidé en décembre aux États-Unis ainsi qu’en janvier lors du sommet sur la résilience (nourrir l’Afrique) ; la BAD a pu mobiliser plus de 36 milliards $ d’investissements dans les programmes agricoles, pour les cinq prochaines années ; c’est quelque chose de très fondamental et de très nouveau pour donner à l’Afrique la capacité d’assurer son autosuffisance alimentaire.
Vous êtes donc confiant dans les capacités du secteur agricole, au Sénégal ?
Oui, il est déjà en mutation : la mécanisation s’accroit. Notre objectif de souveraineté alimentaire fait que nous réinjectons des ressources dans notre programme en faveur de l’agriculture de 1 600 milliards de F.CFA en trois ans. Nous n’avions jamais autant investi dans l’agriculture ! Cela se traduit par davantage de surfaces emblavées, de mécanisation, de maîtrise des semences, d’engrais, bref, davantage de productivité et de production. Sans compter nos efforts en matière de remontée de filière : transformation, commercialisation. Cette logique est un peu la même partout en Afrique : chacun prend conscience, en fonction du contexte agroécologique, qu’on ne peut pas aller de l’avant sans l’agriculture et la transformation agricole.
Le Sénégal a un voisinage assez « turbulent » ; comment voyez-vous les pays du Sahel. Comment affrontez-vous cette situation ?
En tant qu’Africains, nous privilégions la sagesse dans nos actions. Et la sagesse veut que le voisinage soit traité avec beaucoup d’égard. En tant que président de l’Union africaine, je me suis rendu au Mali, au Tchad, deux pays en phase de transition, j’aurais aimé me rendre en Guinée et au Burkina Faso. Nous essayons d’accompagner ces transitions, dans la limite du possible, en conformité avec les instances régionales et sous-régionales. Ces pays africains y sont ancrés, et ils ont besoin de notre soutien et de notre compréhension. Tout dépendra des efforts qu’ils feront, mais je suis pour l’accompagnement de ces transitions, pour qu’elles arrivent à bon terme.
Vous ne craignez pas la contagion du djihadisme ?
Le terrorisme n’épargne aucun pays ; certes, nous avons subi très peu d’actions au Sénégal mais il ne faut pas dormir sur ses lauriers ; l’essentiel est d’être résilient et de faire face quand survient une attaque. La contagion, on ne peut pas l’éviter, dans la mesure où le djihadisme opère dans une continuité culturelle, religieuse, sociale. Nous avons des accords de libre circulation des personnes et des biens ; par exemple, dans l’espace CEDEAO , les frontières sont ouvertes. Dans un tel contexte, nous ne sommes pas à l’abri mais nous travaillons tous les jours pour maîtriser notre environnement et notre territoire.
Sentez-vous un mouvement panafricain, une confiance dans les sommets internationaux, ou le continent vous paraît-il encore divisé ?
L’Afrique a une grande conscience d’elle-même, de ce qu’elle représente et de ce qu’elle veut être. Tout cela est clair dans la tête des dirigeants et dans celle des Africains, quel que soit le niveau de représentation. Nous avons la volonté de parler d’une seule voix, c’était déjà le cas avant ma présidence et c’est le cas après. Il est très important que le président de l’Union africaine représente l’Afrique dans les grandes réunions internationales.
Nous prenons aussi conscience que nous devons travailler davantage ensemble sur les questions africaines, sur les conflits, dans l’élaboration des solutions, etc. Bien sûr, l’Afrique est vaste, 30 millions de km2, plus que la Chine, les États-Unis et l’Europe réunis ! Le continent est diversifié, de l’Afrique arabe à l’Afrique australe… beaucoup de diversité culturelle, ethnique, religieuse, et de systèmes politiques aussi. S’y ajoutent les héritages coloniaux. Il faut mettre en cohérence tout cet ensemble. Donc, les Africains doivent se glorifier des efforts entrepris pour conserver cette organisation commune que l’on appelle l’Union africaine ! Laquelle essaye, malgré les crises et les tensions, de porter la voix de l’Afrique sur les questions essentielles.
C’est pourquoi nous ne devons pas négliger ce que nous sommes en train de faire, nous devons refuser le regard qui prétend que l’Afrique ne fait rien, que l’Afrique n’avance pas, qu’il y a trop de problèmes en Afrique, etc. Cette vision ne correspond pas à la réalité. Si vous agrégez les efforts qui se font, dans chaque pays africain, vous constatez que le travail est énorme, aujourd’hui, sur le continent. Y compris en matière d’infrastructure, d’université, d’investissement… Tout cela est énorme, mais il est difficile, encore une fois, de s’en apercevoir dans un espace de 30 millions de km2 ! Les Africains doivent avoir confiance en eux-mêmes, en leurs leaders et en leurs actions ; c’est à eux de construire leur continent !
De leur côté, les pays occidentaux, la Chine, la Russie exercent des pressions sur les pays africains, pour qu’ils prennent parti dans leurs propres divisions. Comment les dirigeants africains doivent-ils réagir ?
Le monde est une compétition permanente… il est donc normal que chacun essaye d’avoir plus d’influence. Aux Africains de faire des choix. Au Sénégal, nous nouons des partenariats avec tout le monde. Nous avons des amitiés traditionnelles avec le bloc occidental, j’ai toujours assumé cela. Nous entretenons, depuis l’Indépendance, une diplomatie autour de valeurs partagées ; mais nous avons aussi ouvert notre horizon. C’est pourquoi nous sommes ouverts à la Chine et au reste de l’Asie, à la Russie, à la Turquie… sans renier nos anciennes amitiés avec le bloc occidental. Bien sûr, nous essayons dans ce monde difficile de tirer notre épingle du jeu dans les partenariats. Nous n’entrons pas dans une logique manichéenne de blocs contre blocs. Dans ce kaléidoscope mondial, l’Afrique doit jouer son rôle ; le continent a un poids, des ressources et doit compter dans le concert des nations. C’est cette contribution que nous souhaitons apporter, sans être à la remorque de tel ou tel groupe.
Concernant le G20, avez-vous réussi à obtenir une place à la table pour l’Union africaine ?
Nous y sommes presque. Et je tiens à remercier les pays du G20 qui ont accepté et soutenu notre initiative. Nous, Africains, représentons 1,4 milliard d’habitants, nous sommes 54 pays totalisant un PIB de 2700 milliards de dollars, soit à peu près la septième économie mondiale. Nous avons donc notre place. Plusieurs pays et organisations nous ont tout de suite soutenus dans cette argumentation, comme le Conseil européen, la France, l’Allemagne. J’ai saisi par écrit tous les membres du G20 et ai obtenu l’accord de la Chine, de la Russie, de l’Arabie saoudite, puis les États-Unis et le Japon, et enfin la Turquie et le Royaume-Uni ainsi que l’Italie. Tous ces pays s’ajoutent à l’Afrique du Sud. Nous aurons sans doute le soutien des autres pays, pour qu’à la prochaine réunion du G20 en Inde, l’Union africaine puisse devenir membre permanent de cette instance. Cela lui permettra d’apporter sa vision et sa contribution à la marche de la gouvernance mondiale. Ce sera quelque chose de très positif et je tiens à remercier les pays qui nous ont soutenus, pour leur esprit d’ouverture.
Nous continuons parallèlement à plaider pour que le Conseil de sécurité des Nations unies puisse connaître la même évolution. Mon successeur à l’Union africaine, le président des Comores, Azali Assoumani, poursuit ce travail, avec le soutien de tous les chefs d’État africains.
Le président français, Emmanuel Macron, soutient, dites-vous, le lobbying de l’Afrique au niveau international. Pourtant, la jeunesse africaine francophone semble se méfier de plus en plus de la France. Se trompe-t-elle ?
Disons les choses telles qu’elles se passent : dans les combats africains, le président Macron a toujours été de notre côté et souvent a été parmi les premiers dirigeants à porter la parole de l’Afrique. Que la rue africaine, la jeunesse, ait une perception différente, cela est autre chose. La réalité est bien que telle que je vous l’ai décrite par le processus d’entrée au G20. Et sur d’autres sujets également, comme celui des vaccins, la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, nous travaillons de manière étroite et responsable avec la France du président Macron, sans être inféodé à celui-ci. Si nous ne sommes pas d’accord, nous l’exprimons très clairement. Le Président français soutient les progrès de l’Afrique, c’est ce que je vis quotidiennement dans mes rapports avec lui.
Tony Blair, l’ancien Premier ministre britannique a un dicton : « On est le plus apprécié et le moins capable quand on arrive au pouvoir et le moins apprécié et le plus capable quand on quitte le pouvoir ». Que pensez-vous de cette formule ?
Il a raison ! Quand on est au pouvoir, on n’est pas apprécié, on est le plus mauvais, le plus méchant… Quand on quitte le pouvoir, cela devient : « Qu’est-ce qu’il était bon dirigeant, on le regrette déjà ! » C’est la vie et il faut accepter les choses telles qu’elles sont…
Monsieur le Président, la veille de cet entretien, vous avez reçu les footballeurs victorieux de l’équipe junior du Sénégal ; l’équipe senior a enregistré de bons résultats aussi, ces derniers mois. En tirez-vous des leçons particulières ?
Nous sommes dans une tendance très positive qui vient récompenser les efforts fournis dans l’organisation du sport, dans les investissements consentis dans ce secteur, ainsi dans le management de la fédération et les relations de celle-ci avec le gouvernement. C’est une relation de confiance et de complicité. Des moyens ont été injectés dans le sport, les équipes sont arrivées à maturité et les résultats sont à la hauteur de nos attentes. Le Sénégal est enfin redevenu Champion d’Afrique en football et d’autres catégories ont aussi été récompensées. Cinq coupes d’Afrique en 2022-2023 ! Nous n’avons pas toujours été autant primés.
Il nous faut continuer les efforts, en direction de toute l’organisation du football , des cadets aux écoles de football à qui il faut donner un écosystème favorable. C’est ce qui permet de produire des footballeurs de talents. Nous avons aussi des infrastructures sportives, des stades, en construction dans les régions du pays. Bien sûr, cela concerne aussi d’autres sports, comme le basket.
Pour conclure, revenons sur les grands défis du Sénégal ces prochaines années. Quels sont-ils, la réduction des inégalités, la formation des jeunes, les investissements ?
J’évoquerai d’abord la démographie, que nous devons maîtriser. Puis il faut donner une perspective à la jeunesse, en matière d’employabilité, ce qui suppose d’appuyer la formation. Cela suppose de changer les paradigmes du système éducatif. Compte tenu des arrivées massives, chaque année, le système actuel ne peut pas fonctionner et il ne peut pas donner des possibilités d’emploi aux jeunes. Il faut développer davantage la formation professionnelle, et nous orienter encore plus vers les métiers du futur, ceux du numérique, du code, de la science, les métiers techniques, technologiques, l’innovation. Ces métiers de la nouvelle économie permettront d’absorber énormément d’emplois.
Ensuite, pour absorber ces flux, il faut développer les infrastructures, les routes, les écoles, nous devons poursuivre les efforts de construction. Ce qui demande énormément de moyens. Puis nous devons faire face au défi sécuritaire ; l’insécurité est une des plus grandes menaces sur nos États, notamment la menace terroriste. Je n’oublie pas les menaces intérieures, mais celles-là sont plus faciles à affronter.
Nous devons donc maîtriser la démographie en donnant des perspectives de formation, d’insertion, d’entreprenariat, il faut apprendre aux jeunes à entreprendre. Et développer ce concept d’entreprenariat afin que chacun soit formé pour développer son activité et que nous puissions les aider dans le financement, les accompagner, plutôt que de faire croire que l’État peut donner du travail à tout le monde. L’État prendra sa part mais celle-ci est faible par rapport aux besoins du marché du travail et il faut d’autres perspectives. Elles viendront du secteur privé, qu’il faut développer ; c’est pourquoi nous voulons une économie ouverte, une agriculture plus large mais modernisée, idem pour l’élevage, tout cela créera des emplois.
Et pour vous, donc, la tendance est positive ?
Absolument, très positive !
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